samedi 29 octobre 2011

Comment monter sans de se démonter ?

Les tournages de Charles Jude & le Gang des ténèbres ne sont même pas encore terminés que, déjà, le montage, lui a débuté. Du moins le prémontage. Pour les vidéastes, amateurs comme pro, cette étape reste grisante. C’est là qu’on assemble les images récoltées et qu’on sait si nos idées fonctionnent (ou pas…).

Citizen Kane, monté par Robert Wise
Cela constitue également une phase que certains détestent au plus haut point. Ces derniers y voient un travail technique, long et fastidieux alors que –en réalité- c’est véritablement le moment clé… Des réalisateurs, comme Spielberg, considèrent d’ailleurs que les tournages n’existent que pour « préparer » le montage. Il existe plein de « styles » de montages différents. Autant qu’il existe de monteurs pro. Un Robert Wise, ça se voit tout de suite. Un Mickaël Kahn aussi. Ils sont souvent à l’origine de vraies trouvailles que l’on attribue à tort au réalisateur. Saviez-vous que le fameux plan de Gladiator où Maximus passe sa main dans les gerbes de blé était à l’origine un plan de coupe ? C’est le monteur, tout seul derrière son bureau, qui a décidé d’en faire le gimmick (élément récurrent) du film.

"Il faut monter au feeling"
Mais voilà… N’est pas bon monteur qui veut… Avec les outils numériques, on a tendance à penser que c’est « fastoche » de monter un « truc ». Un gros plan par là, un fondu en étoile ici, un peu noir et blanc (« parce que le noir et blanc, c’est toujours classe », la musique de Pirates des Caraïbes… et hop, on a le meilleur court-métrage à papy que « la France du XXIe siècle ait connu » (pour info, l’exemple est bien réel).
Mickaël Kahn, tiré du site http://www.jones-jr.com.
Alors que les monteurs, eux, du moins dans le peu d’interviews qu’on trouve (hors promo vidéo commerciale), se prennent vraiment, mais vraiment, la tête. C’est bizarrement l’un des boulots les plus techniques et à la fois les plus subjectifs du monde. Les bons sont la synthèse de la science et de l’art. « Il faut monter au feeling. Cela ne s’apprend pas », explique parfois Mickaël Kahn, monteur sur quasi tous les films de Spielberg (sauf La Couleur pourpre). Sans aller jusque là, une fois le peu de grammaire ciné à digérer, c’est vrai que les cours de montage, bouquins, etc., ne courent pas les rues. Et quand on est un petit amateur qui veut faire son film d’aventure comme les Grands… C’est un peu ennuyeux.
Comment on monte un film ? Pour ma part, j’ai beau avoir monté un bon paquet de "trucs", des fois, je me dis que je n’en sais toujours rien. Monter une séquence signifie lui donner son impact maximum, en cohérence avec l’ensemble du film. Grosso modo, n’allez pas monter une scène d’amour en cut durs à la Dobermann à côté d’une scène façon Dernier empereur où chaque plan dure une demi-heure (au moins…). Lui donner son impact maximum, ça veut dire quoi ? Quand vous montez, si le réalisateur a pas trop mal fait son boulot (ce qui n’est pas toujours le cas), vous aurez plusieurs versions d’une même action.
Par exemple : un mec qui parle en gros plan, en plan large et en plan très large. Quand vous allez vous mettre derrière l’ordinateur, par quoi comptez-vous commencer et pourquoi ? On n’a qu’à se dire : on va utiliser que les gros plans, ça fait plus cool. Oui, mais si vous faites ça, vous annulerez l’impact que peut avoir ce plan sur le spectateur (en plus, il aura dû mal à se repérer dans "l’espace"). Bon, alors que les plans larges. Au passage, on va créer ainsi une "distanciation" du personnage avec le spectateur (il fait cool ce mot, "distanciation"). Oui, mais là, vous aurez au mieux un téléfilm français, au pire un danois. Bon, ben on alterne les deux… Oui, mais dans quel sens ? Si vous passez du gros plan au plan large, on s’éloigne de l’action. Ça veut donc dire quelque chose ? Et vice-versa… Et tout ça, c’est seulement avec… trois plans disponibles.
En ce moment, pour Charles Jude, on s’attèle à monter une séquence avec… 98,5 plans (environ - le 0,5, c’est un plan qui est raté mais je l’aime bien quand même). Une séquence d’action de surcroît, en bateau qui plus est, avec des revolvers et de deux moments clés du film… Normalement, pour ce type de scène, un découpage précis des plans et leur place au montage a déjà été largement défriché. Ce qui ne veut pas dire que tout est déjà dans la boîte.

Coups de feu et coups de poing
Généralement, une règle de base du montage est de commencer par générer un « ours ». Il s’agit de poser les plans à la suite, dans l’ordre chronologique de la séquence, pour avoir un premier aperçu (souvent très mauvais) de ce que cela rend. Ensuite, on affine, on coupe, on allonge, on rétrécit, on raccorde pour parvenir au résultat final. Dit comme ça, cela peut sembler simple… C’est rarement le cas. Aussi bizarre que cela paraisse –malgré les bonds, les coups de feu et coups de poing- notre premier montage de la séquence du bateau est apparu trop « linéaire », trop plat. Tout reste sur le même ton. Ce qui n’est pas bon. Pour simplifier : imaginez-vous des montagnes russes qui vont très vite, toujours très haut mais seulement avec un, voire deux, petit(s) virages. Le résultat est que vous allez vous ennuyer ferme. Alors que, en pleine action, on devrait avoir des loopings, des moments d’accalmie, des descentes, des montées… Après quatre ou cinq heures devant l’écran, une évidence vous fait donc face : on doit donc tout revoir (snif…). Notre cas n’est pas isolé. Et certains n’ont pas le temps de s’y pencher comme il le devrait. Tout est une question de dosage paraît-il.
Table de montage Steenbeck ST921
Un exemple ? Il y a quelques mois, sur France 2, a été diffusée la série Empreintes criminelles. Un feuilleton policier qui se déroule dans la France des années 30 (tiens ?) avec un traitement façon Les Experts pour tout ce qui a trait aux enquêtes. Une bonne idée… Le problème : un montage toujours sur la même ligne. Le téléfilm a beau nous aligner de très jolis plans, des bons rebondissements, il se déroule toujours au même rythme. Constamment à tambour battant, sans pause. Le résultat ? Les moments forts tombent à plat car ils se déroulent sur le même plan que de simples dialogues. Au final, à force de vouloir dynamiter ses scènes, les monteurs-réalisateurs sont arrivés à faire l’inverse.

Créer la tension
Si l’on en croit les livres, et les monteurs, ce n’est pas parce qu’on réalise une scène d’action qu’on ne doit avoir que des plans de moins de deux secondes. Il faut au contraire jouer sur les contrastes de temps pour susciter une tension. Comment par vient-on à faire le bon choix ? En tâtonnant un maximum… Il n’y a pas vraiment d’autres choix (surtout quand on n’est pas un pro), tenter différentes versions avec différents partis pris… et ne pas rechigner à tout balancer à la poubelle si cela ne marche pas.
Au début, on s’arrache les ongles au moment de supprimer un essai de séquence sur lequel on a passé trois heures, voire plus. Mais on en passe forcément par là. Il est vraiment rare qu’une scène nous plaise dès le premier jet. Il existe néanmoins différents « outils » pour s’aiguiller. Déjà, je l’ai dit plus haut, avoir un parti pris permet de se diriger. Par exemple, dans Le Gang des ténèbres, on a décidé de conserver un montage très années 30 pour les scènes dramatiques et de dialogue (belles sorties de champs, ambiance posée, pas de multiplication de plans…) mais, pour les « autres », de recourir tant que faire ce peu à un montage plus moderne avec davantage de mouvement et cut (ce qui signifie beaucoup de plans dans ces scènes).
Un parti pris qui vient surtout du premier Jude, tourné en 2008. Tout avait été monté sauce 30’s. Le souci ? Il y avait un décalage qui rendait parfois notre petit film lent malgré l’action. Un spectateur d’aujourd’hui est habitué au montage rapide dans les films de divertissement. On peut en prendre le contrepied (si on est doué… mais bon…) mais cela risque de créer une sensation de lenteur. Un peu comme si on choisissait la locomotive au lieu du TGV pour faire Vannes-Paris. Cela a son charme un temps et au bout d’une heure ou deux, on demande "quand est-ce qu’on arrive ?" Donc pour le second opus, règle est de respecter au maximum le ton mais de se permettre plus de choses pour surprendre.

Des courbes d'émotion
Un autre outil, qui reste fortement discuté, est propre à la scène elle-même. Il s’agit d’étudier « la ligne d’émotion ». Vous regarderez attentivement les entretiens avec des réalisateurs aussi différents que Tim Burton ou Guillaume Canet. Lorsqu’ils parlent de leur film, leur montage, ils ne s’étendent pas sur le sens, le texte, mais sur les émotions suscitées. « Cette séquence a été remontée-supprimée car elle n’offrait pas suffisamment d’émotion. » Cela veut dire quoi ? Monter une scène, c’est jouer avec les émotions suscitées. La tension d’une séquence se gagne seconde par seconde. Un film comme Black Swan reste un modèle dans le genre. Pour s’aiguiller, certains utilisent des « courbes ». Ces petits dessins, forcément subjectifs et basé sur rien de vraiment réalistes, aident le monteur à savoir ce qu’il veut obtenir par rapport à où il en est.
Revenons donc à notre séquence de bateau… Pour nous permettre de parvenir à un résultat pas trop mauvais, nous avons de ce fait dessiné deux courbes. La première (ci-contre en vert) représente l’intensité d’émotion tel que le scénariste le souhaitait dans l’idéal. Le second crobar représente la même chose (en rouge) mais en se basant sur un visionnage attentif du prémontage de la séquence.



Comme vous pouvez le voir, les deux lignes rouge et verte n’ont pas grand-chose en commun. La ligne verte commence fort, varie, mais sur l’ensemble, on va vers un crescendo, plan final du film. La variation est jolie, avec des moments d’accalmie, une descente finale. Bref, un joli parcours de grand huit.
La rouge, elle, ne répond pas à cette envie de crescendo. Elle varie avec moins de logique. Elle montre qu’on a un gros risque « d’éteindre » l’émotion en fin de séquence. Et maintenant qu’on a ces courbes (qui valent pas non plus le Saint-Graal, soyons honnête), que fait-on, me direz-vous ? On reprend son montage point par point, plan par plan et on cherche des solutions. Cela peut passer par l’image. Souvent (et ce n’est pas un mythe), changer un plan de place, en rajouter un d’une seconde à peine, peut suffire à créer un effet domino bénéfique (ou négatif…).
Le son a également une importance majeure afin d’aiguiller le regard du spectateur. Bref, un travail passionnant, le montage qu’il ne faudra pas hésiter à tester avant de finaliser (les amis, la famille… tout ce qui a des yeux est bon à prendre… Et s’ils ne veulent pas, c’est encore mieux. Ils seront objectifs). De longues soirées d’hiver nous attendent, n’est-ce pas ? Et encore, je n’ai pas parlé de la musique…

4 commentaires:

  1. En plus, tu nous apprends l'arrière boutique et c'est passionnant. Mais si je comprends bien les difficultés d'un regard de réalisateur à choisir entre les plans dans les quelles il s'est s'investi corps et âme avec passion,ne faut-il pas faire comme Spielberg et faire faire le premier jet (ou se faire accompagner) par un monteur qui aura le recul pour le partager en complicité ? N.W.

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  2. Désolé, je comprends rien à la façon de publier sur ce site. Je suis donc passé par anonyme pour publier mais c'est bien moi ! N.W. alias Yves H.

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  3. Se faire accompagner par un monteur ? Ce serait le nec plus ultra ! Manque de chance, des monteurs bénévoles (réactifs et rapides qui plus est) ne courent pas vraiment les rues morbihannaises... Par contre, un regard extérieur est toujours le bienvenu (si tu veux passer prendre un café !).

    D.P.

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  4. Très intéressant, c'est hyper technique!
    Nous voilà donc dans les coulisses de l'exploit !
    C'est en tout cas ce que l'on peut souhaiter à toute l'équipe.
    Le monteur va nous le faire "aux petits oignons" et la sauce va prendre. Bon courage en tous cas pour ce travail de fourmi !
    On attend tous avec impatience le résultat final.
    Véro L

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